Si le problème peut être localisé à une personne, le fait que le système entreprise tolère ou pas un dysfonctionnement de l'arbre hiérarchique est souvent un problème systémique.
Considérons la figure 1.
Figure 1 : Analyse du dysfonctionnement de l'arbre hiérarchique |
Nous pouvons voir que le dysfonctionnement à un niveau hiérarchique provoque un système à boucles de renforcement.
La première conséquence du dysfonctionnement est de porter les décisions du niveau dysfonctionnement soit sur les niveaux supérieurs, soit sur les niveaux inférieurs. De fait, la plupart du temps, suivant la nature des décisions, les entreprises montrent un peu des deux.
Les équipes assument des décisions devant être assumées par le manager défaillant
Commençons par la partie droite de la figure 1 : les équipes sous le manager défaillant sont amenées à prendre des décisions relevant d'un niveau supérieur. Or, cette attitude est "inacceptable" psychologiquement par le système. Les équipes sont donc obligées de "compenser en silence" le dysfonctionnement managérial.
Le première conséquence est que les alertes ne remontent plus : la chaîne de commandement bottom-up étant brisée, en cas de problème, les équipes tenteront de cacher leurs actions. Au bout d'un certain temps de dysfonctionnement, les équipes s'habitueront au fait qu'il ne soit pas nécessaire de remonter certains faits en tant qu'alertes. Nous sommes en plein problème systémique.
Le reporting sans les alertes est donc totalement faussé. Le pilotage de l'activité est donc aveugle vu du n+1 du manager défaillant.
Notons que si les équipes ont de bonnes compétences, le système est pernicieux et se renforce car le travail est fait. Il est fait mais est non pilotable et non maîtrisé dans ses risques.
Vu de la direction générale, le travail semble se faire "tout seul".
Le n+1 du manager défaillant assume son travail
Nous sommes maintenant dans la boucle de gauche de la figure 1. Le management est mis devant la situation de prendre en charge des sujets qui auraient dû être pris en charge à un niveau inférieur. Ces sujets comportent souvent une dose de "technique".
Beaucoup de managers étant, soit issus de la base, soit n'ayant aucune confiance dans leur arbre hiérarchique (à commencer par leurs n-1), prendront en charge les sujets directement, souvent pour de bonnes ou de mauvaises raisons. Une apparente bonne raison est toujours le fait de débloquer les sujets dans le court terme.
Notons que ce n'est pas à proprement parler un problème de délégation : le n+1 peut avoir délégué au manager dysfonctionnant. Mais il va récupérer insidieusement tout ou partie du travail à faire.
Notons aussi que certaines pratiques managériales dites "collaboratives" ont une tendance à favoriser ce type d'actions : impliquer le n+1 est souvent une bonne idée pour un manager qui ne veut pas prendre de risques et donc ne rien assumer. Génératrice de délais, cette pratique est très néfaste lorsque les décisions à prendre sont objectivement dans le périmètre de responsabilité du manager dysfonctionnant.
En prenant en charge une partie du travail de leurs subordonnés, les n+1 vont mettre en péril leur propre travail, ayant tendance à, eux-aussi, devenir des managers dysfonctionnants.
Des cercles vicieux dont seul le management peut sortir
La figure 1 montre trois boucles de renforcement :- la boucle 2 est celle des équipes faisant le travail de leur responsable : c'est une boucle obligatoire, car les équipes ne peuvent pas en sortir seules ;
- la seule solution serait escalader le problème au n+2, ce qui est très risqué, très conflictuel et finit souvent en drames personnels et en punitions diverses et variées ;
- le sujet étant tabou, les équipes feront en silence ;
- la boucle 1 montre comment le management acceptant le travail fait au mauvais niveau renforce le système dysfonctionnant et se coupe donc de toute capacité de le résoudre ;
- la boucle 3 est corrélée avec la boucle 1 : c'est la contagion systémique ; en faisant le travail de mes n-1, je ne fais pas mon travail et donc je deviens un manager dysfonctionnant acceptant de fait que mon véritable travail soit fait par mon n+1 ou mes n-X.
Le cas classique de la gestion de projet
Un exemple classique aujourd'hui du dysfonctionnement des organisations du type dont nous parlons est la gestion de projets.Dans la plupart des organisations ayant un problème à gérer des projets correctement, la responsabilité de la gestion de projet a une tendance naturelle à monter progressivement les couches hiérarchiques.
Figure 2 : transfert de responsabilité de la gestion de projet le long de l'arbre hiérarchique |
La figure 2 montre cette tendance tout à fait spectaculaire. En cascade, l'arbre hiérarchique est déresponsabilisé par ces pratiques jusqu'au moment où un executive signe la fin de la récréation.
Notons que ce pattern est connu et que certaines sociétés de service jouent contractuellement ce jeu en s'appuyant sur la non confiance des managers ou des excutives envers leurs équipes. Il est, en effet, plus facile de faire signer des avenants à un executive se prenant pour un chef de projet qu'à un chef de projet connaissant son contrat et son projet.
Généralisation à des cas d'organisations dysfonctionnantes
Dès lors que plus d'un manager semble ne pas assumer ses responsabilités, il faut dépasser le problème des individus et regarder du côté du système. Le système favorise souvent l'irresponsabilité managériale et cela pour diverses raisons :- la pression interne (concurrentielle, managériale, sur les coûts, sur la qualité, etc.) n'est pas suffisante pour s'attaquer à ces problèmes complexes ;
- le management est affectif ou basé sur des managers venant des mêmes groupes (écoles, anciennes entreprises, etc.) ou sous la dépendance psychologique d'un tyran ;
- la confiance ne règne pas dans la structure.
Lorsqu'une entreprise tolère des dysfonctionnements nombreux de l'arbre hiérarchique, elle établit le plus souvent une césure entre les équipes et un certain niveau de managers. Les managers de haut niveau seront coupés du reste de l'entreprise par ces échelons dysfonctionnants.
La coupure est alors :
- top down : les comités de haut niveau ne font redescendre aucune information aux équipes ;
- bottom up : les problèmes rencontrés par les équipes sont résolus par elles-mêmes dans l'indifférence complète du management de haut niveau.
No comments:
Post a Comment