Deming est très connu pour la "roue de la qualité", le fameux "Plan Do Check Act".
Symbole de la pensée systémique de Deming, cette définition opérationnelle d'une politique d'amélioration continue n'est pourtant pas au centre de la pensée de Deming.
Au centre de sa pensée, se trouve le "System of Profound Knowledge" [1] qui est sa définition des quatre qualités manageriales indispensables à tous les managers :
- Appreciation of a system (compréhension du système) : compréhension de tous les grands processus impliquant les fournisseurs, les entités de production, les clients ou les destinataires des biens et services ;
- Knowledge of variation (connaissance de la variation) : les intervalles et les causes des variations en qualité et et l'utilisation d'échantillonnage statistique dans les mesures ;
- Theory of knowledge (théorie de la connaissance) : les concepts expliquant ce qui qui peut être connu ainsi que les limites de ce qui peut être connu ;
- Knowledge of psychology (connaissance de la psychologie): les concepts de la nature humaine.
La compréhension du système
La compréhension du système définit le cadre de pensée et d'action manageriaux par une pensée systémique. Tout acteur, en particulier le manager, fait partie du système entreprise et chacune de ses décisions a des impacts sur le système, certains impacts étant voulus, d'autres étant non voulus (notion de "side effect").La compréhension du système est fondamentale à la réussite des actions entreprises. Si les actions entreprises sont pertinentes mais en inadéquation avec le système, les effets pervers peuvent être nombreux.
Une illustration concrète de ce principe, probablement vécue par chaque lecteur de ce blog une fois dans sa vie professionnelle est l'arrivée d'un nouveau manager voulant appliquer des principes venant d'une autre compagnie. Si cette volonté d'application est immédiatement mise en œuvre sans apprécier le système entreprise dans lequel il se trouve, la plupart du temps, le système "réagit" en générant des "side effects" (dont le rejet plus ou moins explicite). On peut trouver ce genre de problèmes notamment dans les passages de managers du privé au public ou au para-public (entreprises d'Etat).
Il est donc fondamental pour le manager de pouvoir apprécier le système entreprise dans sa globalité. Cela dépasse évidemment les données financières de l'entreprise, même si ces dernières sont fondamentales, une grande partie des caractéristiques du système étant cachées (nous reviendrons sur ce point dans d'autres billets).
C'est encore plus vrai et difficile pour le consultant qui doit choisir entre deux voies : celle d'appliquer des modèles la plupart du temps non pertinents au cas de l'entreprise concernée, ou celle de tenter de comprendre le système entreprise singulier sur lequel il a des préconisations à faire.
La connaissance de la variation
La connaissance de la variation mène à identifier les véritables leviers du changement ("leverage").Le système peut être sensible à d'infimes changements non réellement mesurables (par exemple la motivation des collaborateurs ou leur implication) ou il peut générer une "réponse inverse" (feedback du système) proportionnelle à l'énergie initiale visant à le modifier.
Généralement, dans les grandes entreprises, cette connaissance de la variation est quasiment impossible à avoir pour le top level management sans un système qualité interne et un bon fonctionnement de la chaîne de commandement top down et bottom up.
Cette connaissance est fondamentale dans tout chantier de transformation de l'entreprise. La raison pour laquelle la certains chantiers de transformation sont des échecs peut s'expliquer par une méconnaissance du système et des leviers de transformation du système. En couplant les bonnes intentions et les mauvais leviers, la transformation mène souvent à une situation pire que la situation initiale.
La théorie de la connaissance
Beaucoup de managers considèrent implicitement qu'ils connaissent (suffisamment) leur entreprise ; ils n'ont donc pas à connaître le système entreprise car le système, du moins dans leur domaine de responsabilité, doit leur "obéir". Il y a donc généralement une préférence pour la représentation mentale que pour la vérité du système et notamment sa complexité humaine et technique."Cette entreprise est remarquable : on dirait qu'elle tourne toute seule." Je cite les mots d'un executive reconnaissant les limites de sa connaissance du système.
La théorie de la connaissance est une façon de savoir ce que l'on peut connaître et ce que l'on ne peut pas connaître. Il est fondamental pour un manager de savoir ce qu'il connaît et de comprendre les limites de sa connaissance. Dans cette zone non connue figurent des zones de potentielle connaissance et des zones que l'on ne pourra probablement jamais connaître. Or, reconnaître que l'on ne sait pas n'est pas particulièrement bien vu dans le management "traditionnel" français.
Pourtant, avoir une connaissance intime de ses limites ouvre la voie à l'apprentissage continu.
La connaissance de la psychologie
La connaissance de la psychologie des gens est bien entendu fondamentale pour tout manager, que ce soit au niveau caractéristiques psychologiques, interactions, motivation, etc. La psychologie des collaborateurs fait souvent beaucoup plus qu'on ne veut le reconnaître. C'est le paramètre qui fait que la collaboration est soit supérieure à la sommes des talents ou très nettement inférieure. Il faut dire que le "management by objectives" ne reconnaît que peu de choses à la dimension psychologique du système.Prenons ne serait-ce que la motivation. Abimer même involontairement la motivation des gens se traduit par généralement par une destruction lente des assets de l'entreprise. En effet, le fait d'être consciencieux dépend, chez nombre de collaborateurs, de l'importance d'être consciencieux pour le système entreprise. Si le système n'est pas vertueux, les collaborateurs ne le seront pas non plus. S'ils ne le sont pas, ils ne prendront pas à cœur de défendre les assets de l'entreprise et laisseront s'éroder la valeur de ces assets. Si l'on ajoute à ce phénomène des "effets retard", on peut anticiper, parfois des années avant l'événement, des crises majeures pour l'entreprise rien que par le mépris structurel de la psychologie des gens.
Un autre exemple plus brûlant dans l'actualité est celui du comportement des acteurs économiques : la fiscalité appliquée à ces acteurs devenant confiscatoire, leur comportement change (exode fiscal).
Nous reviendrons sur ces quatre points largement dans ce blog.
[1] Edward Deming, Hors de la crise, Economica 2002.
Edward Deming, Out of the Crisis, MIT Press 2000.
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