The Enterprise System

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Sunday, January 13, 2013

Dysfonctionnement de l'arbre hiérarchique

Un des grands patterns de dysfonctionnement des organisations est la non prise en charge par un layer hiérarchique de ses responsabilités.

Si le problème peut être localisé à une personne, le fait que le système entreprise tolère ou pas un dysfonctionnement de l'arbre hiérarchique est souvent un problème systémique.

Considérons la figure 1.


Figure 1 : Analyse du dysfonctionnement de l'arbre hiérarchique


















Nous pouvons voir que le dysfonctionnement à un niveau hiérarchique provoque un système à boucles de renforcement.

La première conséquence du dysfonctionnement est de porter les décisions du niveau dysfonctionnement soit sur les niveaux supérieurs, soit sur les niveaux inférieurs. De fait, la plupart du temps, suivant la nature des décisions, les entreprises montrent un peu des deux.

Les équipes assument des décisions devant être assumées par le manager défaillant


Commençons par la partie droite de la figure 1 : les équipes sous le manager défaillant sont amenées à prendre des décisions relevant d'un niveau supérieur. Or, cette attitude est "inacceptable" psychologiquement par le système. Les équipes sont donc obligées de "compenser en silence" le dysfonctionnement managérial.

Le première conséquence est que les alertes ne remontent plus : la chaîne de commandement bottom-up étant brisée, en cas de problème, les équipes tenteront de cacher leurs actions. Au bout d'un certain temps de dysfonctionnement, les équipes s'habitueront au fait qu'il ne soit pas nécessaire de remonter certains faits en tant qu'alertes. Nous sommes en plein problème systémique.

Le reporting sans les alertes est donc totalement faussé. Le pilotage de l'activité est donc aveugle vu du n+1 du manager défaillant.

Notons que si les équipes ont de bonnes compétences, le système est pernicieux et se renforce car le travail est fait. Il est fait mais est non pilotable et non maîtrisé dans ses risques.

Vu de la direction générale, le travail semble se faire "tout seul".

Le n+1 du manager défaillant assume son travail


Nous sommes maintenant dans la boucle de gauche de la figure 1. Le management est mis devant la situation de prendre en charge des sujets qui auraient dû être pris en charge à un niveau inférieur. Ces sujets comportent souvent une dose de "technique".

Beaucoup de managers étant, soit issus de la base, soit n'ayant aucune confiance dans leur arbre hiérarchique (à commencer par leurs n-1), prendront en charge les sujets directement, souvent pour de bonnes ou de mauvaises raisons. Une apparente bonne raison est toujours le fait de débloquer les sujets dans le court terme.

Notons que ce n'est pas à proprement parler un problème de délégation : le n+1 peut avoir délégué au manager dysfonctionnant. Mais il va récupérer insidieusement tout ou partie du travail à faire.

Notons aussi que certaines pratiques managériales dites "collaboratives" ont une tendance à favoriser ce type d'actions : impliquer le n+1 est souvent une bonne idée pour un manager qui ne veut pas prendre de risques et donc ne rien assumer. Génératrice de délais, cette pratique est très néfaste lorsque les décisions à prendre sont objectivement dans le périmètre de responsabilité du manager dysfonctionnant.

En prenant en charge une partie du travail de leurs subordonnés, les n+1 vont mettre en péril leur propre travail, ayant tendance à, eux-aussi, devenir des managers dysfonctionnants.
 

Des cercles vicieux dont seul le management peut sortir

La figure 1 montre trois boucles de renforcement :
  • la boucle 2 est celle des équipes faisant le travail de leur responsable : c'est une boucle obligatoire, car les équipes ne peuvent pas en sortir seules ;
    • la seule solution serait escalader le problème au n+2, ce qui est très risqué, très conflictuel et finit souvent en drames personnels et en punitions diverses et variées ;
    • le sujet étant tabou, les équipes feront en silence ;
  • la boucle 1 montre comment le management acceptant le travail fait au mauvais niveau renforce le système dysfonctionnant et se coupe donc de toute capacité de le résoudre ;
  • la boucle 3 est corrélée avec la boucle 1 : c'est la contagion systémique ; en faisant le travail de mes n-1, je ne fais pas mon travail et donc je deviens un manager dysfonctionnant acceptant de fait que mon véritable travail soit fait par mon n+1 ou mes n-X.
Seul le management peut sortir de ces cercles vicieux organisationnels (bulle jaune). La plupart du temps, résoudre les problèmes de ce genre implique recadrer les responsabilités de chacun et si besoin former les personnes. Pour le management comme pour les équipes, les managers ont un rôle de coaching naturel de leurs n-1.

Le cas classique de la gestion de projet

Un exemple classique aujourd'hui du dysfonctionnement des organisations du type dont nous parlons est la gestion de projets.

Dans la plupart des organisations ayant un problème à gérer des projets correctement, la responsabilité de la gestion de projet a une tendance naturelle à monter progressivement les couches hiérarchiques.

Figure 2 : transfert de responsabilité de la gestion de projet le long de l'arbre hiérarchique

La figure 2 montre cette tendance tout à fait spectaculaire. En cascade, l'arbre hiérarchique est déresponsabilisé par ces pratiques jusqu'au moment où un executive signe la fin de la récréation.

Notons que ce pattern est connu et que certaines sociétés de service jouent contractuellement ce jeu en s'appuyant sur la non confiance des managers ou des excutives envers leurs équipes. Il est, en effet, plus facile de faire signer des avenants à un executive se prenant pour un chef de projet qu'à un chef de projet connaissant son contrat et son projet.

Généralisation à des cas d'organisations dysfonctionnantes

Dès lors que plus d'un manager semble ne pas assumer ses responsabilités, il faut dépasser le problème des individus et regarder du côté du système. Le système favorise souvent l'irresponsabilité managériale et cela pour diverses raisons :
  • la pression interne (concurrentielle, managériale, sur les coûts, sur la qualité, etc.) n'est pas suffisante pour s'attaquer à ces problèmes complexes ;
  • le management est affectif ou basé sur des managers venant des mêmes groupes (écoles, anciennes entreprises, etc.) ou sous la dépendance psychologique d'un tyran ;
  • la confiance ne règne pas dans la structure.
Le dernier point est particulièrement intéressant car il génère un cercle vicieux : constater que la confiance n'existe pas veut souvent dire prendre des mesures au mauvais niveau (pour "se protéger"), acte qui entretient l'entreprise dans un climat de non confiance.

Lorsqu'une entreprise tolère des dysfonctionnements nombreux de l'arbre hiérarchique, elle établit le plus souvent une césure entre les équipes et un certain niveau de managers. Les managers de haut niveau seront coupés du reste de l'entreprise par ces échelons dysfonctionnants.

La coupure est alors :
  • top down : les comités de haut niveau ne font redescendre aucune information aux équipes ;
  • bottom up : les problèmes rencontrés par les équipes sont résolus par elles-mêmes dans l'indifférence complète du management de haut niveau.
En termes de gestion des risques, cette tolérance du système envers ses défaillances structurelles est désastreuse car en cas de problème, la direction générale sera la dernière avertie des problèmes.

De la part de l'énergie du système consommée de manière endogène

Le système entreprise consomme une part non négligeable de son énergie de manière endogène.

Les processus administratifs, s'ils sont nécessaires, peuvent être la source d'une perte de temps et d'efficacité pour l'organisation toute entière. Pour autant, souvent pointés du doigt en premier par les politiques de réduction des coûts, ils ne représentent souvent qu'une partie faible des problèmes de perte d'énergie du système, hormis dans certaines organisations dans lesquelles l'efficacité (efficiency) du travail n'est pas centrale à l'entreprise (marchés de niche avec positions oligopolistiques, monopoles, administrations, etc.).

La mesure, même macroscopique, de cette énergie perdue dans le système est fondamentale car elle est un des moteurs de la gestion du changement, des économies et de l'évolution de l'entreprise. Sans mesure de cette quantité d'énergie, il est difficile d'avoir une idée précise quant aux marges de progression qu'une entreprise peut faire en termes d'efficacité.

Or mesurer l'énergie gaspillée dans un système entreprise n'est pas chose aisée. La méthode proposée par Deming est de représenter de manière globale les processus au travers des organisations.

En effet, les organisations ont une tendance à cacher la consommation d'énergie endogène et à être le reflet d'une habitude des pratiques plus que d''une rationalité des processus. La vision globale du processus inter-organisations est un prérequis à la compréhension du système et donc au calcul de perte d’énergie - et par conséquent à la marge de progression disponible pour l'entreprise.

Prenons l'exemple d'un service client (marketing relationnel, pilotage, management, call center, etc.) : suivant son niveau d'outillage informatique opérationnel et suivant l'efficacité du processus global (et notamment des liens avec les prestataires), les coûts peuvent connaître des variations spectaculaires, sachant que suivant les outils disponibles, le service sera ou non capable de certaines actions complexes.

Cette question est, aujourd'hui, au centre des travaux sur la scalabilité des entreprises [1]. En effet, dans une période de croissance nulle de l'économie, il est important de savoir faire plus avec les moyens dont on dispose. Cette recherche d'efficacité ne doit pas se traduire par un pressurage des collaborateurs mais au contraire par une amélioration de leurs conditions de travail passant par :
  • l'optimisation globale des processus de l'entreprise ;
  • la mise en place d'outils de travail productifs et adaptés ;
  • la montée en gamme des tâches des collaborateurs eux-mêmes.
Réduire l'énergie consommée de manière endogène par le système entreprise ne peut être fait :
  • sans l'écoute et l'implication des collaborateurs ;
  • sans une vision sur l'endroit où aller ;
  • sans un "moteur de transformation" (par exemple ISO 9001) ;
  • sans une attention très spéciale aux outils informatisés qui permettent d'automatiser les tâches sans plus-value ;
  • sans une politique de formation des collaborateurs adaptée ;
  • sans implication managériale au quotidien.


[1] Abbott et al., The Art of Scalability: Scalable Web Architecture, Processes, and Organizations for the Modern Enterprise, Addison Wesley 2009.

Saturday, January 12, 2013

Le système n'est pas la somme de ses parties

Cela peut paraître évident mais nous n'avons souvent pas été amenés à penser de la sorte.

En particulier, optimiser le système ne signifie (surtout) pas que chaque équipe doive optimiser ses activités.

C'est pour cette raison que Deming, par exemple, est contre les exhortations et les slogans. Exhorter les équipes à faire de la qualité ou à réduire les coûts est une politique non systémique s'appuyant sur l'illusion que le système peur être optimisé par parties et que l'optimum du système est la somme des optimums de ses composants.

Dans le système entreprise, cette assertion est, la plupart du temps fausse car optimiser au niveau d'une direction, d'un département, d'un service implique généralement poser des problèmes collatéraux à d'autres entités - ou générer des risques à délai.

Par exemple, je peux optimiser les coûts de mon atelier de production en achetant des outils de moins bonne qualité que ceux que j'achète d'habitude. Dans le court terme, les économies ont été faites. Mais la mauvaise qualité des outils générera des défauts de production supplémentaires et des besoins de remplacement plus fréquent de ces mêmes outils. Les effets induits par cette réduction des coûts seront donc néfastes au système entreprise.

Cet exemple simpliste montre que penser le système revient à penser les processus de manière plus globale mais aussi à penser que seule la collaboration entre les différents acteurs peut permettre de trouver un optimum.

Deming et le "System of Profound Knowledge"

Nous parlerons dans ce blog beaucoup de Deming, en tentant d'en conserver l'esprit original un esprit somme tout mal connu et qui s'illustre dans le livre mythique Out of the Crisis.

Deming est très connu pour la "roue de la qualité", le fameux "Plan Do Check Act".
Symbole de la pensée systémique de Deming, cette définition opérationnelle d'une politique d'amélioration continue n'est pourtant pas au centre de la pensée de Deming.

Au centre de sa pensée, se trouve le "System of Profound Knowledge" [1] qui est sa définition des quatre qualités manageriales indispensables à tous les managers :
  • Appreciation of a system (compréhension du système) : compréhension de tous les grands processus impliquant les fournisseurs, les entités de production, les clients ou les destinataires des biens et services ;
  • Knowledge of variation (connaissance de la variation) : les intervalles et les causes des variations en qualité et et l'utilisation d'échantillonnage statistique dans les mesures ;
  • Theory of knowledge (théorie de la connaissance) : les concepts expliquant ce qui qui peut être connu ainsi que les limites de ce qui peut être connu ;
  • Knowledge of psychology (connaissance de la psychologie): les concepts de la nature humaine.
Ces quatre outils sont fondamentaux à plus d'un titre.

La compréhension du système

La compréhension du système définit le cadre de pensée et d'action manageriaux par une pensée systémique. Tout acteur, en particulier le manager, fait partie du système entreprise et chacune de ses décisions a des impacts sur le système, certains impacts étant voulus, d'autres étant non voulus (notion de "side effect").

La compréhension du système est fondamentale à la réussite des actions entreprises. Si les actions entreprises sont pertinentes mais en inadéquation avec le système, les effets pervers peuvent être nombreux.

Une illustration concrète de ce principe, probablement vécue par chaque lecteur de ce blog une fois dans sa vie professionnelle est l'arrivée d'un nouveau manager voulant appliquer des principes venant d'une autre compagnie. Si cette volonté d'application est immédiatement mise en œuvre sans apprécier le système entreprise dans lequel il se trouve, la plupart du temps, le système "réagit" en générant des "side effects" (dont le rejet plus ou moins explicite). On peut trouver ce genre de problèmes notamment dans les passages de managers du privé au public ou au para-public (entreprises d'Etat).

Il est donc fondamental pour le manager de pouvoir apprécier le système entreprise dans sa globalité. Cela dépasse évidemment les données financières de l'entreprise, même si ces dernières sont fondamentales, une grande partie des caractéristiques du système étant cachées (nous reviendrons sur ce point dans d'autres billets).

C'est encore plus vrai et difficile pour le consultant qui doit choisir entre deux voies : celle d'appliquer des modèles la plupart du temps non pertinents au cas de l'entreprise concernée, ou celle de tenter de comprendre le système entreprise singulier sur lequel il a des préconisations à faire.

La connaissance de la variation

La connaissance de la variation mène à identifier les véritables leviers du changement ("leverage").

Le système peut être sensible à d'infimes changements non réellement mesurables (par exemple la motivation des collaborateurs ou leur implication) ou il peut générer une "réponse inverse" (feedback du système) proportionnelle à l'énergie initiale visant à le modifier.

Généralement, dans les grandes entreprises, cette connaissance de la variation est quasiment impossible à avoir pour le top level management sans un système qualité interne et un bon fonctionnement de la chaîne de commandement top down et bottom up.

Cette connaissance est fondamentale dans tout chantier de transformation de l'entreprise. La raison pour laquelle la certains chantiers de transformation sont des échecs peut s'expliquer par une méconnaissance du système et des leviers de transformation du système. En couplant les bonnes intentions et les mauvais leviers, la transformation mène souvent à une situation pire que la situation initiale.

La théorie de la connaissance

Beaucoup de managers considèrent implicitement qu'ils connaissent (suffisamment) leur entreprise ; ils n'ont donc pas à connaître le système entreprise car le système, du moins dans leur domaine de responsabilité, doit leur "obéir". Il y a donc généralement une préférence pour la représentation mentale que pour la vérité du système et notamment sa complexité humaine et technique.

"Cette entreprise est remarquable : on dirait qu'elle tourne toute seule." Je cite les mots d'un executive reconnaissant les limites de sa connaissance du système.

La théorie de la connaissance est une façon de savoir ce que l'on peut connaître et ce que l'on ne peut pas connaître. Il est fondamental pour un manager de savoir ce qu'il connaît et de comprendre les limites de sa connaissance. Dans cette zone non connue figurent des zones de potentielle connaissance et des zones que l'on ne pourra probablement jamais connaître. Or, reconnaître que l'on ne sait pas n'est pas particulièrement bien vu dans le management "traditionnel" français.

Pourtant, avoir une connaissance intime de ses limites ouvre la voie à l'apprentissage continu.

La connaissance de la psychologie

La connaissance de la psychologie des gens est bien entendu fondamentale pour tout manager, que ce soit au niveau caractéristiques psychologiques, interactions, motivation, etc. La psychologie des collaborateurs fait souvent beaucoup plus qu'on ne veut le reconnaître. C'est le paramètre qui fait que la collaboration est soit supérieure à la sommes des talents ou très nettement inférieure. Il faut dire que le "management by objectives" ne reconnaît que peu de choses à la dimension psychologique du système.

Prenons ne serait-ce que la motivation. Abimer même involontairement la motivation des gens se traduit par généralement par une destruction lente des assets de l'entreprise. En effet, le fait d'être consciencieux dépend, chez nombre de collaborateurs, de l'importance d'être consciencieux pour le système entreprise. Si le système  n'est pas vertueux, les collaborateurs ne le seront pas non plus. S'ils ne le sont pas, ils ne prendront pas à cœur de défendre les assets de l'entreprise et laisseront s'éroder la valeur de ces assets. Si l'on ajoute à ce phénomène des "effets retard", on peut anticiper, parfois des années avant l'événement, des crises majeures pour l'entreprise rien que par le mépris structurel de la psychologie des gens.

Un autre exemple plus brûlant dans l'actualité est celui du comportement des acteurs économiques : la fiscalité appliquée à ces acteurs devenant confiscatoire, leur comportement change (exode fiscal).


Nous reviendrons sur ces quatre points largement dans ce blog.



[1] Edward Deming,  Hors de la crise, Economica 2002.
Edward Deming, Out of the Crisis, MIT Press 2000.

L'entreprise est un système

L'entreprise est un système.

L'entreprise est un système de systèmes. Sans doute un système de systèmes de systèmes, voire bien plus.
Comprendre ces systèmes et comprendre leurs interconnexions est fondamental car toute décision managériale a des impacts inattendus sur le système. Par exemple, aucune gestion du changement n'est possible sans mesurer les effets collatéraux des décisions managériales.

La compréhension des systèmes commence par leur identification et par le décryptage de certaines lois profondes du fonctionnement des systèmes humains.

Ce blog se propose d'examiner ces lois et de les illustrer par des exemples précis et de proposer une analyse structurelle des problèmes des entreprises et de l'Etat français.

Nous suivrons par ailleurs les traces de W. Edwards Deming, de Peter Senge, de Ludwig von Bertalanffy, d'Antony Stafford Beer, etc. pour tenter de placer sur les réalités systémiques de l'entreprise des mots, des diagrammes et des patterns.